La jeune Sophie, âgée de 18 ans, travaille sans relâche dans la boutique de chapelier que tenait son père avant de mourir. Lors de l’une de ses rares sorties en ville, elle fait la connaissance de Hauru le Magicien. Hauru est extrêmement séduisant, mais n’a pas beaucoup de caractère… Se méprenant sur leur relation, une sorcière jette un épouvantable sort à Sophie et la transforme en vieille femme de 90 ans.
Accablée, Sophie s’enfuit et erre dans les terres désolées. Par hasard, elle pénètre dans le Château Ambulant de Hauru et, cachant sa véritable identité, s’y fait engager comme femme de ménage. Cette « vieille dame » aussi mystérieuse que dynamique va bientôt redonner une nouvelle vie à l’ancienne demeure seulement habitée par un jeune apprenti, Marko et celui qui fait marcher le Château, Calcifer, le démon du feu. Plus énergique que jamais, Sophie accomplit des miracles. Quel fabuleux destin l’attend ? Et si son histoire avec Hauru n’en était qu’à son véritable commencement ?
Retorses, évasives, cahotiques, emberlificotées... Les retrouvailles avec Hayao Miyazaki ne déçoivent pas, elles tourmentent. Parce que Sophie la malchanceuse nonagénaire semble médusée par l'enjeu, parce qu'Hauru est aussi farouche qu'insaisissable, parce que l'édifice – colossal et c'est peu de l'écrire – menace de s'effondrer au moindre frémissement. Les victuailles sont si dispendieuses que les enfants gâtés ne savent plus où donner de la tête. Trop ou pas assez: Le Château ambulant s'égare volontiers, imperturbable et traître, sans retrouver la radicale étrangeté, l'émotion transie d'un Voyage de Chihiro, ni l'audace romanesque d'un Princesse Mononoké. Le récit erratique emprunté au roman de Diana Wynne Jones verrouille les passions, comme il pétrifie paradoxalement ses deux héros polymorphes et secrets. Si Le Château dans le ciel poussait à son paroxysme la cavalcade onirique, Le Château ambulant redouble d'impétuosité formelle. Les lieux, les corridors, les trésors s'amoncellent et s'évanouissent, l'éclair d'un rictus. Après Kiki, la petite sorcière, cette nouvelle esquive est la deuxième adaptation libre de Miyazaki, la deuxième fois également qu'un projet confié à un espoir (Mamoru Hosoda, réalisateur de Digimon, le film) lui tombe in extremis entre les mains. Le Château ambulant souffre d'un flagrant déséquilibre: une trame émiettée, délibérément chagrine et une telle profusion de détails que le coeur s'y englue plus souvent qu'il n'est séduit.
Le socle était trop beau, Miyazaki semblait le plus enclin à épouser les excentricités de Diana Wynne Jones. Le Château ambulant va pourtant au-delà de la simple transposition. Constamment sur le fil du rasoir, écartelée, dépenaillée, l'intrigue donne le sentiment de s'improviser sur un amas de cendres. Sophie enclenche un mécanisme et une nouvelle artère s'ouvre à elle. Elle referme la porte, fait tourner les rouages du loquet, et le jeu se répète à l'infini. L'amusement de la jeune fille est à l'image de ce château mouvant: un désir irrépressible de glisser d'une séquence à l'autre, de faire se chevaucher les temporalités et les portions de terre, des colombages d'une ville portuaire aux ruines d'un royaume ombrageux. Vieillie prématurément, Sophie remonte le cours d'une existence pour sauver Hauru, l'éternel fugueur. Les récurrences esthétiques et les transitions familières auraient presque une valeur testamentaire, tant Le Château ambulant ravive les fantômes du passé. Miyazaki donne libre cours à sa démesure et à ses virtuoses enjambements. Des rafales de souvenirs surnagent les bribes attendries de Kiki, la petite sorcière, les houles du Château dans le ciel, l'amnésie lyrique du Voyage de Chihiro. Miyazaki ne raconte pas seulement une histoire de prince déchu, il revisite la sienne, l'oppresse et la déleste de ses rubans fastueux.
Les malheurs de Sophie, sous l'emprise du maléfice de la sorcière des Landes, réveille une frousse immédiate: le corps qui se gâte, la sénilité qui guette. Mais chez Miyazaki, l'angoisse du délabrement prend une forme gracieuse et poétique. Sous la farce (l'irrésistible montée des marches au ralenti), Le Château ambulant inverse le cours habituel des événements - la fillette à qui l'on infuse la sagesse des aînés est elle-même devenue une adulte grabataire -, et dresse un portrait en creux d'une vieillesse apaisée. La panique des premiers instants cède la place à une résignation lucide, sans amertume. A la différence d'une Chihiro, d'une Kiki ou d'une Nausicaä, qui s'arment de courage pour apprendre ce qui leur fait encore défaut, Sophie subit plus qu'elle n'agit, dans l'ombre d'un magicien resté enfant. Mais c'est elle qui finit par lui enseigner et lui chuchoter le secret de leur entente tacite. Pendant que Suliman la reine orgueilleuse pousse les hommes à s'entre-déchirer, Miyazaki ausculte les respirations d'une vieille femme au bord de l'eau, à contre-courant, effrontément. Ce décalage entre l'urgence narrative et le retour à une indolence viscérale sauve Le Château ambulant de la pure passade amoureuse (l'idylle entre Hauru et Sophie reste très superficielle). Sophie se laisse happée par le vide, autour d'elle le silence et les murs qui se désagrègent. Miyazaki le démiurge bâtit et défait les mondes. Inlassablement.